Un matin pas tout à fait normal... (PV Ashe)

Khino ouvrit les yeux dans la lueur délicate du matin qui osait filtrer à travers les rideaux de sa chambre. Elle était dorée, mais il la voyait bleutée. Non, sa vision ne lui jouait pas des tours. C'était son imagination qui le faisait. Il avait demandé une chambre à l'académie parce qu'il était trop lunatique pour avoir une voiture, et sa demande avait été exaucée. Il bâilla, dévoilant les longs crocs qu'il arborait depuis qu'il savait écrire. Le rapport entre ces armes naturelles et l'écriture ? C'est simple. Khino Ten'shi, aujourd'hui âgé de vingt-deux ans malgré son physique d'adolescent, possédait l'effrayant don de modifier les choses en écrivant. Toutefois, et heureusement d'ailleurs, ce pouvoir ne s'appliquait que dans un rayon d'un mètre autour de la feuille sur laquelle était écrits les mots. Sauf que les effets étaient permanents. Khino possédait aussi la capacité quelque peu dangereuse de faire sortir du papier ce qu'il dessinait. Plus le dessin était bien fait et semblait réel, plus la création restait longtemps dans la réalité. Les êtres dessinés étaient vivants et les dispositifs fonctionnaient. Le jeune adulte avait déjà fait apparaître un dragon durant un cours d'arts quand il était plus jeune et laissez-moi vous dire qu'il était le seul à trouver ça drôle. Surtout qu'il avait précisé sur la feuille la taille énorme de l'animal fantastique...

Mais bon, où en étais-je déjà ? Ah, oui, Khino se levait. Il se glissa hors du lit puis jeta un oeil aux papiers et aux crayons sur son bureau. Il les voyait sans les voir. Son corps les voyait mais sa bulle mentale, son monde sorti de son imagination, ne voyait rien. Il avait inconsciemment érigé ce voile mental pour protéger les autres. Sans papier et sans crayon, il était aussi inoffensif qu'un humain normal. Il était juste un prof d'arts agréable mais peu bavard qui était souvent dans la lune. Les feuilles distribuées aux élèves n'étant pas destinées à lui-même, il les voyait, fort heureusement. En fait c'était plus complexe que ça. C'était comme un somnambule, pratiquement inconscient de ce qu'il faisait mais capable de, par exemple, descendre un escalier sans la moindre difficulté...

Le regard perdu dans le vague, Khino s'habilla, mit son bandeau blanc, peigna ses cheveux brun-roux puis sortit de sa chambre et se dirigea vers la salle des profs. Il entra, se prit un café, salua une collègue, alla s'installer dans un fauteuil confortable et sirota lentement le breuvage chaud qui le réveillerait sans que cela ne paraisse. Une fois son café terminé, il regarda l'heure. Il restait encore une heure avant le début des cours. Il se permit donc de se rendre tout de suite à son local pour se permettre un petit dessin sur lequel il n'ajouterait aucune précision de taille.

Une fois bien installé derrière son bureau, il sortit à moitié de sa bulle, prit un papier et un crayon et commença à dessiner. Un minuscule dragon. Un tout minuscule dragon de vingt centimètres de long, queue comprise. Il ajouta crocs, ailes, griffes, écailles, cornes, pointes en tous genres, puis alla chercher de la peinture. Il savait que ses dessins ne prenaient jamais vie avant qu'il ne les ait finis. Il prit son temps pour peindre, ajoutant de minuscules touches colorées, d'infimes reflets, de délicats ombrages et de fines veines, puis lorsqu'il eut enfin terminé, le dragon avait fière allure malgré ses vingt centimètres. La tête mesurait à peine une phalange alors le petit dragon était inoffensif sauf s'il se mettait à cracher du feu.

Soudain, les traits du dragon se brouillèrent. Un mouvement l'agita puis il se mit à bouger pour s'extraire du papier à coups de griffes. Et finalement il prit du volume pour être en 3D et se dégager entièrement du papier en lambeaux. Il jeta un oeil suspicieux et méfiant à Khino, qui s'était replongé dans sa bulle, puis le reconnut comme étant son créateur et ronronna avant de se frotter affectueusement contre la main du jeune homme. Il lâcha un petit cri plaintif et Khino comprit que la petite bête fantastique avait faim. Il se leva, fit délicatement monter l'animal sur son épaule puis sortit de son local et de l'académie. Il fila dans la cour où les insectes pullulaient et laissa la petite créature se nourrir. Quand elle fut rassasiée, elle fila se blottir contre le cou de Khino et s'endormit alors qie ce dernier retournait dans l'école. Il avait le don de dessiner et de peindre très rapidement, et il restait encore quelques minutes avant le début des cours. C'est ainsi qu'il retourna paisiblement à son local et attendit en caressant du bout des doigts les fines écailles de la minuscule bête de feu.

Le cours commença, les élèves travaillèrent, certains non sans s'extasier sur le petit dragon endormi, puis le temps fila et la cloche sonna. Khino sortit du local pour se dégourdir les jambes, son dragon toujours sur son épaule, et alors qu'il tournait un coin il manqua de justesse quelqu'un arrivant en sens inverse.

- S'cusez, lâcha-t-il distraitement avant de reprendre sa route. Mais le petit dragon s'était réveillé et grondait contre celui qui avait failli foncer dans son créateur. Il lâcha un filet de flammes et de fumée vers l'autre, s'envola et fila lui mordiller l'oreille avec acharnement. Khino souffla :

- Kaiser, ici. Sorry.

Et le petit animal revint, non sans gronder. Khino allait repartir quand quelque chose ou quelqu'un l'en empêcha.

Ouvrant les yeux sur un nouveau jour, je sus d'instinct que cela ne serait pas un matin comme les autres, ni même un jour commun. Avec une habitude éprouvée par le temps, je fus prêt en un temps record. Je balaya ma chambre du regard et vis la propreté étincellante. Yoruichi savait être utile, elle et sa manie de rangement. Ce qui est somme toute normale pour un chat.

Une lettre apparut sur mon bureau, entourée d'une aura bleu, douc. Allons bon, un ordre de mission. C'est inhumain de travailler, je me demandais de qui cela pouvait venir. Kurogane ? Non, il apprécit bien trop être assis à son bureau à ne rien faire. Alors cela devait venir de la Directrice Azuna, ou alors de cette saloperie de secrétaire. Je n'ai jamais pu apprécier cette créature magique encastrée dans un petit tableau. Oui, ça vient d'elle exprès pour m'ennuyer ou mieux m'énerver. Eh bien, si tel était le cas, cette femme acariâtre avait réussi son maudit plan. C'est alors d'un geste rageur que j'ouvrit la lettre vocale.

« Lettre à l'intention du capitaine de la Cross Guard, Ashe - ça commence bien, dis donc elle m'énerve rien qu'au son de sa voix décharnée -, hier est arrivé un professeur d'arts prénommé Khino Ten'shi. Prenant ses fonction le lendemain, continua-t-elle machinalement, c'est-à-dire ce jour-ci, les Directeurs souhaitent que vous alliez le voir - et s'il en fait la demande de lui faire visiter notre établissement et ses alentours quand il le souhaitera - s'il est pleinement intégrés à la vie au sein de l'Academy. Ils vous demandent également de vous montrés poli envers lui. Ils possèdent un dangereux pouvoir.
Fin du message.
Amicalement, la salopeire de secrétaire acarîatre. »

Seigneur, comment savait-elle ? Je froissais la feuille pour la jeter dans une poubelle près du bureau - idée encore de Yoruichi. Qu'importe, je devais aller le voir et me présenter. Un pouvoir dangereux ? La plupart des élèves étaient dangereux de part leurs pouvoirs. Je me mit à songer à ce quoi il ressemblait. S'il possédait un très grand pouvoir, avait-il l'air suffisant ou au contraire était-il humble enver les gens ? Ce dont, j'étais sûr, c'est qu'il devait un géant. Je pris alors ma tenue de protection - un peu au cas où il souhaiterais vraiment visiter les alentours et aussi pour l'impressionner au cas où il seraitr un peu méprisant envers les gens. Prenant la direction, de la sortie, je constatais que Yoruichi me suivait nonchalammant. Je ne pris pas la peine de lui demander pourquoi, ni même si elle acceptait que les autres la voient.

Je me mis à réfléchir. C'est bien beau de me dire d'aller le voir mais encore faut-il savoir où il se trouve. Puis mon cerveau se remit en marche, si c'est le début des cours alors il doit se trouver soit en salle des professeurs, ou alors dans sa salle de cours. Levant les yeux sur l'horloge dans le Hall, je vis que j'étais un peu en retard. Je marchais alors d'un pas rapide envoyant les élèves se retourner derrière mon passage. Encore ma tenue, même si elle était ouverte, elle attirait encore trop l'attention. Peut-être qu'avec le temps, ils s'y habitueront. Au passage je vis la jeune élève qui m'avait "abordé" à la Bibliothèque. Je lui fis un clin d'oeil et elle pouffa en parlant avec ses amies. Bon, j'ai encore du charme. Arpès une petite trotte jusqu'à sa classe, je le vis devant moi sortant de sa classe. J'allais l'aborder lorsqu'il rentra dans un élève - ou l'inverse - au carrefour d'un couloir.

« S'cusez. » lâcha-t-il distraitement avant de reprendre sa route. Mais une créature sortit du col du professeur et lancçait des petites flammes. Le petit dragon - à première vue - vola jusqu'à l'infortuné pour lui mordiller l'oreille. Finalement le jeune professeur réussit à interpeller la créature magique en lui soufflant :

« Kaiser, ici. Sorry. »

Le dragonnet, Kaiser, revint vers Ten'shi, non sans gronder à l'adresse de l'autre jeune homme. L'élève fila en remerciement vivement le professeur et jeta un regard un peu apeuré en me voyant - faut dire que mon visage plus ma tenue. Le professeur allait repartir, alors je posai ma main sur son épaule. Cela suffit à l'arrêter. Je me mis face lui, Yoruichi, sur les talons, qui regardait intensément le dragon, comme le chat regardant la souris en vu d'un festin et le dragon à Yoruichi comme à un compagnon de jeu. Le regardant mieux, je vis que je m'étais trompé. Il semblait tout à fait normal avec le regard tout de même dans la lune. Coupant court à toutes ses réflexions intérieures inutiles, je lui lançais d'un air décontracté mais sérieux tout de même :

« Salutation, je me présente Ashe, Gardien. Je m'assure de la sécurité dans ces lieux. Je vous souhaite la bienvenue ici, professeur Khino Ten'shi. Les Directeurs m'ont demandé de savoir si vous vous intégré bien à ce mode de vie. Ils ont également dit de vous faire visiter les lieux si vous le souhaitiez également. »

Je lui présentai en signe de politesse, attendant une réponse.

Évidemment, Khino n’avait pas prévu que son petit dragon allait avoir mauvais caractère et être protecteur envers son créateur. D’habitude, quand il dessinait quelque chose et que ce quelque chose sortait du papier, elle ne restait pas assez longtemps dans la réalité pour montrer des signes d’intelligence quelconque. Mais bon, visiblement, ce petit dragon destiné à exister pour des années, ou même éternellement, était attaché à son créateur et souhaitait le défendre malgré sa taille minuscule.

Le jeune professeur le rappela à l’ordre lorsque la petite bête de feu se mit à mordiller l’élève dans lequel il avait failli foncer. En effet, l’animal, que Khino avait prénommé Kaiser en le dessinant, s’était mis à mordiller l’oreille de l’autre personne, et lorsque l’adulte lui demanda de revenir, il obéit. Puis Khino s’excusa (en anglais; il avait pris l’habitude de parler un étrange mélange de français et d’anglais, et il ne s’en rendait même pas compte) et essaya de reprendre son chemin, mais quelqu’un d’autre l’en empêcha en posant sa main sur son épaule. Il s’arrêta sans toutefois se retourner, le temps que l’information atteigne son cerveau, l’autre s’était déjà mis devant lui, un chat noir juste derrière lui, chat noir qui fixait à présent Kaiser avec intensité, ce qui n’était pas assez pour inquiéter l’adulte sur l’avenir du petit dragon; en effet, un dragon, ça sait être très dangereux, même à distance. Un dragon de taille normale pouvait cracher du feu et atteindre une cible à trente mètres. Ainsi, en faisant une petite échelle rapide, Kaiser pouvait atteindre le chat depuis l’épaule de son créateur. Khino jaugea distraitement celui devant lui sans trop s’en rendre compte. Il portait une tenue étrange que le jeune adulte n’avait pas encore aperçue dans l’académie, ce qui était normal puisqu’il était arrivé la veille. Il avait le visage… étrange. Non, pas si étrange que ça, mais il dégageait une aura qui n’était pas humaine, tout comme Kaiser dégageait une aura non humaine. Il avait la peau trop claire pour qu’il soit humain, quoique… certaines personnes étaient très pâles et étaient humaines… Mais celui-là n’avait pas une tête d’humain. On aurait dit qu’il venait d’une autre époque. Khino n’eut pas trop le temps de vraiment penser à tout ça; l’autre le salua, d’un d’air décontracté sans toutefois trop l’être, gardant une part de sérieux :

- Salutation, je me présente Ashe, Gardien. Je m'assure de la sécurité dans ces lieux. Je vous souhaite la bienvenue ici, professeur Khino Ten'shi. Les Directeurs m'ont demandé de savoir si vous vous intégré bien à ce mode de vie. Ils ont également dit de vous faire visiter les lieux si vous le souhaitiez également.

Khino était déjà relativement lent pour comprendre les choses simples comme le fait qu’il était en retard pour telle ou telle chose parce que l’heure était dépassée, et ce parce qu’il n’était pas tout à fait présent; aussi un discours aussi long lui prenait une éternité à comprendre. Il dut rester une bonne minute, sinon deux, le regard dans le vide, alors que son cerveau analysait peu à peu la situation. Le gars devant lui s’appelait Ashe, il était un Gardien et s’assurait de la sécurité des lieux. Il lui souhaitait la bienvenue et les Directeurs lui avaient demandé de savoir si lui, Khino, s’intégrait bien à ce mode de vie. Et ils lui avaient aussi demandé de faire visiter les lieux s’il le voulait. Ahh, okayyy…

Sans sortir de sa bulle – et sans sortir son regard du vide – il finit par répondre, d’une voix sans aucune émotion :

- Je m’habitue… une visite des lieux ?... Pourquoi pas… j’ai une période de pause juste là…

C’était rare de l’entendre prononcer un « discours » aussi « long ». Normalement il se contentait de trois ou quatre mots et ça finissait là. Quand il était sorti de son monde, par contre, après le début effrayant et dangereux durant lequel il transformait la personne l’ayant sorti en gugusse informe et laid, il se mettait à parler et à agir normalement pendant une heure jusqu’à ce que sa bulle se reforme et le ramène au loin dans son monde. Autrement dit, si vous vouliez discuter vraiment avec lui, il fallait le sortir, s’enfuir avant qu’il n’écrive et revenir deux minutes plus tard. Mais ça, personne ne l’avait vraiment découvert, et même Khino l’ignorait, alors ça restera entre vous et moi…

Donc, où en étais-je ? Ah, oui, il avait parlé, et relativement longtemps par rapport à son habitude. Après, il se remit à marcher, supposant que l’autre le suivrait et même le devancerait pour lui faire visiter la place. Toutefois, quelques mètres plus loin, une bagarre dégénérait et un des opposants fut violemment emporté dans un jet d’air pour atterrir juste devant Khino – et non sur lui, ce qui était une véritable chance ! Il se releva et repartit en courant pour se battre, et alors que Ashe intervenait (deux élèves se battant avec des pouvoirs représentaient un danger certain), Khino fixait le vide tandis que sa bulle hésitait à le laisser se réveiller. Finalement ce ne fut pas le cas, heureusement pour tous, et Khino recommença à marcher tranquillement, oubliant déjà Ashe en train de mettre fin à la bagarre – il n’avait ni la mémoire ni l’éveil pour se souvenir de choses plus ou moins futiles…

Son petit dragon ne regardait plus Yoruichi. Quant à elle, elle minaudait et reportait son attention sur un groupe d'élèves. La feuille jointe à la lettre magique m'avait éclairé rapidement sur ses spécificités. Enfermé dans un monde mental. Le reste est sous ombres. Que se passerait-il si on le faisait sortir de sa "bulle" de manière forte ? Mieux vaut ne pas s'adonner à cette curiosité si je ne veux pas subir les possibles efforts néfastes. Je dus attendre un long instant avant qu'il ne fournisse une réponse concrète. Et dire que je vais devoir lui montrer l'Academy. Je soupirai bruyamment.

« Je m’habitue… une visite des lieux ?... Pourquoi pas… j’ai une période de pause juste là… »

Je me reprenais. Je ne devais le critiquer alors qu'il était loin, dans son monde. Il serait plus à plaindre mais pareil dans ce cas-ci, je ne pense qu'il le voudrait aussi. Débutant donc cette "visite", j'avançais, me retournant brièvement pour m'assurer qu'il suive bien. Toutefois, on fut stopper par deux élèves qui commençait à en venir aux mains. L'un des deux maîtrisait la foudre et l'autre la terre. Gros dégâts en perspective.

Je me concentrais, réunissant l'air autour de ma bouche et de mes mains. Je me mis à hurler, ce qui ampifié par mon pouvoir ressemblait plus à un ouragan :

« Vous deux là ! Veuillez arrêter tout de suite ! Tonnais-je. Si vous voulez continuer, apprétez-vous à connaître la douleur d'une bonne correction ! »

Le résultat ne se fit pas attendre, les deux élèves - l'une vampire et l'autre un jeune humain - me regardèrent apeuré. Et le pouvoir concentré dans leurs mains s'évanouirent comme la neige au soleil. La vampire se mit à débiter que c'était l'humain qui avait commencé à l'embêter parce qu'il pensait qu'elle mordrait sous un quelquonque prétexte. Je compris mais je grondais les deux pour ne pas favoriser l'un ou l'autre. Ils repartirent en direction du bureau des directeurs pour recevoir leur punition Dans le temps, cela aurait été un fouettage publique. Dissipant le reste des élèves restant, je me tournais vers le jeune prof et le vis repartir m'ayant sûrement oublié.

Je pris son bras pour le stopper avant de continuer. Mais cela mit ce dragon en colère et il commença à me cracher des petites flammes. Courant peut-être le risque d'énerver son créateur, j'immobilisai le petit Kaiser.

« Voulez-vous voir quelque chose en particulier d'abord ? »

Khino savait inconsciemment que bien des gens le trouvaient étrange. Il le savait parce qu’il pouvait le sentir, même quand il était enfermé dans son monde bien à lui. Mais il le savait inconsciemment parce qu’il ne pensait jamais à ça. En fait, on pouvait se demander s’il pensait tout court. Le regard toujours vide, l’air toujours impassible, les longs moments avant de répondre à une question ou un discours… Il était comme ça seulement depuis ses quinze ans, quand son corps avait arrêté de grandir et de vieillir. Auparavant, il était bien plus dangereux. C’est seulement lorsqu’il avait été guéri de sa maladie qu’inconsciemment il s’était rendu compte du danger qu’il représentait. S’il pouvait sauver des vies en écrivant, il pourrait aussi en détruire. Sa bulle s’était créée ce jour-là et plus jamais ses proches ne l’avaient vu sourire ou avoir une quelconque émotion. C’était peut-être triste mais lui ne s’en rendait pas compte…

Tout ça pour dire que, alors qu’il analysait lentement le (trop) long discours du Gardien devant lui, Khino savait que ce dernier pouvait fort bien le critiquer intérieurement et tout et tout. Mais il s’en fichait complètement, ou plutôt son conscient l’ignorait et son inconscient le savait. Il répondit machinalement, d’une manière relativement longue quand on comparait avec ses habituelles réponses, et ensuite la « visite » s’apprêta à commencer, seulement interrompue par deux étudiants se bagarrant. Ashe mit rapidement fin à la bagarre alors que Khino poursuivait son chemin, l’ayant complètement oublié. Après avoir grondé les deux jeunes, le Gardien revint vers Khino et l’arrêta en lui attrapant le bras, ce qui le fit immédiatement cesser de marcher, sans qu’il ne se retourne pour autant. Le petit dragon s’énerva, crachant du feu en direction d’Ashe, qui immobilisa l’animal. N’entendant plus les cris de colère du dragon, Khino fit l’effort de tourner la tête pour regarder le Gardien, qui demanda :

- Voulez-vous voir quelque chose en particulier d'abord ?

Le regard émeraude de Khino commençait à se remplir. Se remplir de quoi ? De conscience, bien sûr. Il était lent mais en ce moment il comprenait facilement que Kaiser était immobilisé alors qu’il voulait bouger. D’un geste presque inconscient – presque parce qu’il n’était qu’à moitié sorti de son monde –, il releva la lèvre supérieure, lentement, dévoilant les crocs qu’il arborait depuis son enfance, depuis le jour où il les avait créés. Un léger grondement jaillit de sa gorge, pas très effrayant mais suffisamment anormal venant de lui pour faire – normalement – stopper tout comportement désagréable venant des autres. Ashe sembla comprendre que c’était peut-être un peu dangereux de faire sortir le jeune professeur de sa bulle et laissa Kaiser bouger. Le petit dragon rugit de mécontentement et vint se réfugier contre le cou de son créateur, qui cessa de gronder et de montrer les crocs avant de tourner la tête droit devant lui, lentement, revenant dans sa bulle. Puis il répondit, ayant eu le temps d’analyser la question :

- Ce qui se trouvera sur notre chemin en premier…

Et il se remit à marcher nonchalamment. Kaiser sortit juste la tête du col de son créateur pour fixer relativement fixement Ashe, et une voix grondante résonna dans la tête de ce dernier : « Ne réveille pas le maître, il te transformerait en masse informe et laide ». Puis le dragon se réinstalla confortablement. Il semblait presque impossible qu’un dragon parle, mais si déjà les dragons existaient, pourquoi ne pourraient-ils pas parler ? C’était effectivement la voix de Kaiser qui avait résonné au cœur de l’esprit d’Ashe. Bien installé, il poursuivit : « Je ne l’ai jamais vu faire mais il m’a créé et je sais tout sur lui. Il s’est lui-même sauvé la vie à quinze ans en écrivant qu’il survivrait et c’est depuis ce temps qu’il est dans son monde. À ta place je ferais avec sa personnalité et j’éviterais d’immobiliser ses œuvres, si tu vois ce que je veux dire… » Une bouffée de flammes jaillit du col, montrant que le dragon n’avait pas tellement apprécié de ne pas pouvoir exprimer sa colère de tout à l’heure. « Ne le fais pas trop parler, ça risquerait de le réveiller. Il est simple alors montre-lui d’abord ce qu’il y a tout près. Et si jamais tu venais à le réveiller… fuis avant qu’il n’écrive. Petit conseil « d’ami » ». Un rire caverneux résonna mentalement suite à ces paroles puis Kaiser se tut et se contenta de se laisser porter par son créateur. Il n’était pas très impressionnant malgré ses longues cornes, ses crocs, sa langue fourchue, ses griffes, ses ailes à membranes et les pointes un peu partout sur son corps, mais il restait un dragon et en général les dragons imposaient un certain respect peu importe leur taille… Tout ça pour dire que Kaiser savait très bien qu’il pouvait être respecté malgré ses vingt centimètres, queue comprise, et qu’il savait aussi que le Gardien n’était pas aussi facilement impressionnable que les humains. Mais l’avertissement d’un dragon est toujours une bonne chose à prendre en note.

Quelques minutes de marche plus tard, Khino s’arrêta sans raison apparente devant la porte d’une classe où il y avait un cours. Kaiser en profita pour expliquer à Ashe : « Il sent la présence de papier et de crayons dans cette classe… entraîne-le tout doucement plus loin… »

Sitôt que j’entendis cette voix étouffée, je relâchais le bras du jeune professeur. En me concentrant un peu, je captai les mots qui étaient émis par nul autre chose que le dragon lové dans le cou de Khino. C’était ce petit être qui me parlait directement par pensées ! Et c’était ce jeune enfermé qui avait fait cette prouesse. J’en étais soufflé. Puis l’être draconique me lança plusieurs conseils très judicieux. Dommage qu’il ponctua le dernier par un rire caverneux.

« Ashe, tu ne vas pas laisser te faire railler par une vulgaire petite bestiole »

Manifestement, Yoruichi n’aimait vraiment pas le fait de se faire snober par Kaiser - c’était comme cela qu’il s’étais présenté. Remarque, cela lui fera les pieds, à force de se draper du voile de l’invisibilité, plus personne ne la remarque. J’acquiesçais à ces remarques, et repris le chemin de la « visite ». Puis, au cours des pas, j’eus une pensée qui me permettrai parler dans des conditions un peu spéciales. Mais le temps d’appliquer cette merveilleuse idée, l’instituteur d’art s’immobilisa devant une salle quelconque. C’est là que Kaiser s’exprima à nouveau en m’enjoignant d’éloigner son créateur d’ici.

« Suivez-moi monsieur Ten’shi. » Puis m’adressant vers le petite créature, je mis en place mon idée : Dis-moi mon petit Spirau, commençait-je en me trompant délibérément -Spirau était aussi le nom d’un dragon célèbre, es-tu connecté avec ton créateur ? »

Je commençais simple, avec une question simple. D’accord, j’ai débuté par une taquinerie plutôt basse. Mais bon, il l’avait bien cherché avec son rire qui me faisait hérissé les poils. On débouchait sur les Jardins régulièrement entretenu. La verdure, plus qu’éclatante ne laissait place qu’à des bosquets de fleurs diverses et rares pour la plupart. Ce qui un tableau de rouge, mauve, bleu. Je m’arrêtais à la rambarde qui surplombait la cour extérieure. Le contact froid me rassurait et me permettait de faire le point sur les limites d’une telle visite. Puis, je ne connais rien de ce brave gars, alors je demanda à Kaiser :

« Kaiser, peux-tu me raconter l’histoire de ton maître ? »

Et, pour pas qu’on pense que j’ignorai la dite personne, je rajoutai :

« S’il est consentant, bien évidemment. »

[C’est court, sorry, j’ai eu le temps de décrocher de mon perso ^^’]

Les oreilles de Kaiser se dressèrent quand Ashe demanda à Khino de le suivre. L’espace d’un instant, le petit dragon se demanda si son créateur bougerait, après tout, des papiers et des crayons, ça l’attirait inconsciemment, puisque son inconscient connaissait l’existence de ses pouvoirs. Mais Khino finit par avancer, tout doucement, et un nuage de fumée s’échappa de son col, nuage de fumée indiquant un soupir de soulagement de la part de Kaiser.

- Dis-moi mon petit Spirau, es-tu connecté avec ton créateur ?

Un rugissement vexé résonna et la minuscule tête du dragon jaillit du sol pour cracher une bouffée de flammes en direction d’Ashe. « Oublie une quelconque réponse de ma part si tu m’appelles une fois de plus ainsi ! Mon nom est Kaiser, aucun autre, compris ? Tu sais ce que ça veut dire au moins ? Pfft. » Un instant de silence s’écoula pendant lequel le petit dragon se réinstalla contre le cou de son créateur. « Je viens de sa tête, j’entends ses pensées, je vois celui qui est enfermé dans cette bulle, celui qui parle mais que la bulle empêche de plus agir. Je suis lié à lui comme toutes ses créations le sont. C’est un lien plus puissant que bien d’autres. »

- Kaiser, peux-tu me raconter l’histoire de ton maître ? S’il est consentant, bien évidemment.

Le petit dragon haussa les épaules. « Je ne vois pas pourquoi il ne voudrait pas, ce n’est pas tellement secret… » Un instant de silence s’écoula puis la voix du dragon s’éleva de nouveau. « Avant, il était normal. Un enfant, un simple petit enfant, tout mignon, que tout le monde adorait. Mais sa « normalité » a commencé à être mise en doute quand ses gribouillis ont commencé à sortir de ses feuilles pour se promener avant de disparaître. En grandissant, il a développé un incroyable don en dessin, le problème était que son ami imaginaire était vraiment là quand il en avait envie… Inévitablement, les autres paniquaient… Quand il sut écrire, d’autres choses étranges se produisirent, et ce jusqu’à ses quinze ans. À quinze ans, il fut gravement malade, d’une maladie inconnue et incurable. Il demanda seulement à avoir du papier et des crayons, et entreprit de se sortir de cette maladie. Il n’a eu de cesse d’écrire qu’il survivrait, et le miracle s’est produit. Sauf qu’après, il a pris conscience que s’il pouvait sauver des vies, il pouvait aussi en détruire, alors sa bulle s’est formée, et plus jamais il n’a souri depuis ce jour… personnellement je trouve ça triste, je ne suis peut-être qu’une création, mais il m’a donné un cœur et des sentiments… C’était son histoire, la manière dont il est arrivé ici n’a aucune importance… »

Kaiser bâilla tout en se lovant au creux du cou de Khino. « Depuis qu’il a sa bulle, il garde un petit calepin sur lui, juste de quoi te maudire à jamais si tu oses le réveiller… il vient de là, le danger… »